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Bienvenue sur ce blog consacré à l'étude du chemin de fer parcourant la Côte-de-Beaupré et Charlevoix depuis 1889. Ce projet se présente sous forme d'essais visant à mieux comprendre les mécaniques qui ont façonné cette ligne ferroviaire dans le passé, le présent et le futur. L'objectif premier est, à travers une approche critique, de mettre en relief le potentiel ferroviaire de la région, déboulonner certaines perceptions et fournir des informations quantifiables afin de de proposer des hypothèses à discuter avec les acteurs locaux en vue du rétablissement à terme du service passager régulier. N'hésitez pas à faire part de vos réactions, commentaires et observations puisqu'il s'agit bel et bien d'une discussion.

mercredi 12 février 2014

Vers le nouveau rail

Les dernières années furent pleines de rebondissements en matière de transport en commun au Québec. Pour ma part, mon regard est fixé depuis 20 ans sur l'avenir d'une ligne de chemin de fer traversant la Côte-de-Beaupré et dont le nom original au 19e siècle donne toute l'ampleur du projet à bâtir: Québec Montmorency & Charlevoix.

Le présent blog cherche d'abord et avant tout à susciter la réflexion sur l'avenir du rail, plus précisément des trains de banlieue, alors que la région de Québec commence peu à peu à changer son fusil d'épaule face à eux.

L'expérience récente du Train du Massif de Charlevoix nous servira de cas d'étude, non pas pour faire des reproches à l'ambition légitime de ses promoteurs, mais pour identifier les failles qui ont scellé son sort si rapidement. Ne soyons pas dupes, le concept était solide, mais l'exécution précaire.

L'objectif est à la fois éducatif et politique: comprendre ce qui s'est passé pour mieux définir le nouveau projet à entreprendre et qui commence déjà à faire du chemin dans la tête des élus locaux. Car c'est bien là que ce situe notre action: encourager, éduquer et guider.

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Les déboires récents (2013-2014) du Massif de Charlevoix et le demi-échec commercial de son exploitation ferroviaire nous montrent bien que le rail canadien, et en particulier le rail québécois, n'a toujours pas su s'adapter à la population qu'il dessert, malgré l'angélisme des bonnes intentions.

Si, dans les années 1950, 1960 et 1970, la concurrence de la route, subventionnée par les programmes d'infrastructures routières des divers paliers gouvernementaux, était féroce, les temps ont bien changés. À une époque où beaucoup de gens, souvent jeunes ou professionnels, redécouvrent l'agrément et l'efficacité du voyage en train, on peut se questionner sur la réponse timide des divers transporteurs ferroviaires dédiés aux passagers.

Il faut admettre que la réponse immédiate ne viendra pas de VIA Rail Canada, organisme toujours à la solde du politique et premier à subir des coupes budgétaires aussi drastiques qu'incompréhensibles. En ce sens, loin de jeter la pierre au personnel qui s'efforce de maintenir en vie le transporteur national, on s'étonne que le réseau tient toujours la route et qu'il se permet même des améliorations localisées, mais appréciées.

Côté régional, le GO Transit ontarien est un exemple intéressant d'une province qui prend à coeur ses transports. D'ailleurs, le gouvernement de l'Ontario a toujours maintenu historiquement une forte propension à s'affirmer lui-même par diverses compagnies ferroviaires qu'il possède et ce, dans l'intérêt de sa population.

Toujours à l'ouest de la rivière des Outaouais, l'expérience d'OC Transpo à Ottawa avec les rames Talent de Bombardier s'avère étonnamment positive malgré de sérieuses embûches. Projet porteur, simple et efficace, il devrait servir d'inspiration pour plusieurs localités canadiennes qui possèdent toujours une infrastructure ferroviaire interurbaine utilisable.

Finalement, l'essor de l'AMT dans la région montréalaise nous prouve que le rail est loin d'être mort. L'expansion de l'offre de service et des destinations ont renversé la vapeur. De nos jours, qui oserait imaginer la métropole sans ses chemins de fer? Bien entendu, les choix ne sont pas toujours les plus perspicaces et on peut légitiment avoir des réserves face à certaines influences néfastes sur des choix de parcours. Néanmoins, le portrait est globalement positif et encourageant pour l'avenir.

En ce sens, ces divers exemples nous donnent déjà une idée de ce qui peut être fait dans la région de Québec. À vrai dire, il serait plus honnête de se dire, qu'on pourrait revenir à certaines intentions anciennes élaborées à la fin du 19e siècle et qui furent extrêmement lucratives jusqu'aux années 1950. Il s'agit, à proprement parler, de l'incroyable œuvre d'Horace Jansen Beemer, homme infatigable dont la vision à long terme lui a permis d'entrevoir de nombreuses choses qui semblent désormais acquises aux Québécois.

Horace Jansen Beemer, entrepreneur en construction, réalisera entre autre le premier aqueduc de la ville de Québec. Il mettra d'ailleurs en garde les élus municipaux contre leur désir de faire des économies à court terme en négligeant la qualité des matériaux... l'avenir lui donnera raison. Plus tard, Beemer deviendra entrepreneur de chemin de fer. Il réalisera le tronçon de la rivière des Outaouais qui relie Québec, Trois-Rivières, Montréal et Ottawa sur la rive nord, future colonne vertébrale du Canadien Pacifique. Cette voie directe sera d'ailleurs identifiée comme ligne de choix pour l'implantation du projet Via Fast de Jean Pelletier, projet malheureusement abandonné au profit de la lubie du TGV et des gadgets.

Horace Jansen Beemer, (source et date inconnue)

Increvable, Beemer travaillera à la construction du P'tit Train du Nord. Homme de qualité, le curé Labelle en fera très tôt un allié dans son projet d'envergure. Tout deux avaient entrevus le potentiel touristique incroyable des Laurentides... Le Mont-Tremblant leur donnera raison.

Un autre projet de Beemer sera la construction du chemin de fer Quebec & Lake St. John reliant la ville et le lac du même nom. Encore une fois, l'entrepreneur flairera le potentiel économique de la région, mais aussi la possibilité d'attirer le tourisme de plein-air des États-Unis. Plus tard, Beemer érigera le fameux hôtel Roberval qui deviendra, à une époque, une référence internationale en villégiature de luxe.

Et puis, finalement, un dernier grand projet verra le jour sur la Côte-de-Beaupré à l'annonce de l'érection au rang de basilique mineure de l'église de Saint-Anne-de-Beaupré par le pape Léon XIII. Beemer, proche du clergé catholique, n'était pas sans savoir la signification qu'avait cet évènement unique dans l'histoire de l'Église pour les Catholiques de l'Amérique du Nord. En effet, il s'agissait de la première fois qu'une église hors d'Europe accédait à ce titre prestigieux longtemps réservé aux églises les plus anciennes de Rome. Ainsi, le sanctuaire déjà célèbre attirerait des foules de pèlerins qui nécessiteraient un système de transport plus efficace que la vieille route et les bateaux à vapeur. La solution, il la connaissait déjà et elle passait par la construction de la Quebec, Montmorency & Charlevoix Railway. L'ambitieux projet espérait joindre Tadoussac et ensuite remonter le fjord du Saguenay jusqu'à La Baie où les rails auraient rejoint le Quebec & Lake St. John, complétant ainsi la boucle. Le terrain difficile, les caprices du Saint-Laurent et les coûts de constructions prohibitifs le convaincront rapidement de s'en tenir à la Côte-de-Beaupré. Sage décision qui vaudra à la compagnie des profits immédiats.

Ce train, affectueusement surnommé le "chemin de fer de la Bonne Sainte Anne" deviendra l'ancêtre du Quebec Railway Light Heat & Power, puissante subdivision de la Shawinigan Power qui contrôlera le gaz, l'électricité et les transport urbains et interurbains de la région de Québec jusqu'à la fin des années 1950. Si on a reproché la perfidie de la compagnie en matière de tarifs énergétiques à cause du monopole dont elle jouissait, on ne peut toutefois pas l'accuser de ne pas avoir fourni à la population des transports efficaces et de qualité... d'un niveau que la capitale n'a jamais revus depuis. Sur la Côte-de-Beaupré, plus de 52 stations permettaient de desservir la population, ce qui signifiait que chaque personne avait accès à un point d'embarquement situé dans un rayon de 500 m de sa résidence (en milieu rural). Cette distance est celle désormais utilisée pour les arrêts du Métrobus du RTC en zone urbaine. Des départs à toutes les demi-heures, plus les trains extras, permettaient une flexibilité des services. De plus, l'utilisation de la traction électrique augmentait la rapidité des parcours tout en assurant un meilleur confort et un entretien plus facile. La ville de Québec n'était pas en reste avec des lignes de tramway dont la fréquence normale de passage était au cinq minutes et aux deux minutes aux heures de pointe. Sur ce point, les fréquences du métrobus sont faméliques tandis que les tramways se comparaient avantageusement aux métros des grandes cités actuelles.

Malheureusement, le Canadien National, successeur de la Quebec Power, n'aura jamais l'intention de maintenir un service interurbain sur la Côte-de-Beaupré. Ainsi, les horaires seront bousculés pour ne plus s'adapter aux besoins des travailleurs, les poussant à utiliser l'automobile et à employer le nouveau boulevard Sainte-Anne. Cette tactique malhonnête avait pour objectif de fournir des statistiques falsifiées permettant de justifier l'abandon du service passager auprès des autorités gouvernementales. En 1959, le sort en était jeté et ce fut la fin du service. Toutefois, les liaisons vers Charlevoix survivront jusqu'au milieu des années 1970, lorsqu'on y mettra fin. Doit-on voir une coïncidence entre l'abandon de ce service et la reconstruction complète aux normes autoroutières de la dangereuse route de Charlevoix?

Depuis, trois trains touristiques ont tenté l'aventure dans la région, tous se soldant par de cuisants échecs. Les deux premiers tortillards ne durèrent chacun que deux saisons et il semblerait que l'actuel train du Massif suive un dessin similaire s'il ne se libère à temps de la formule viciée qui l'éloigne du profit.

Pourtant, l'idée de départ n'était pas folle, au contraire. Toutefois, un aveuglement presque volontaire à ignorer les conditions locales, les populations à desservir, le potentiel régional et à identifier les clientèles les plus fidèles a eu raison de ce projet. Plus encore, l'aventure aura fait mourir, de manière presque définitive, le transport des marchandises dans la région. Mais malgré ce constat parfois sombre, tout n'est pas ombre sur les rails de la Côte-de-Beaupré et un nouveau joueur - Train léger de Charlevoix (TLC) - pourrait renverser la vapeur en revenant au pragmatisme de Beemer. C'est cela que nous nous efforcerons de mettre en lumière à travers ce blog.