Prémisse
Au
cours des dix dernières années, la notion de transport en commun a été au cœur
des débats dans la région de Québec. Plusieurs propositions ont été faite,
certains réseaux d’autobus régionaux improvisés ont vu le jour avec un succès
parfois surprenant, mais surtout, la discussion générale est restée au niveau
de la panacée, du remède miracle à tous les maux. Ce fut d’abord le TGV, puis
finalement le tramway.
Malheureusement,
ce discours tonitruant, prôné, puis abandonné par les politiques au cours des
années, a surtout servi à masquer la question de fond des déplacements sur le
territoire et échaudé une population généralement réfractaire à changer des
habitudes qui pourtant s’avèrent être un problème majeur dans la qualité de vie
au quotidien et l’équilibrage des budgets.
Surtout,
le transport a été analysé du point de vue de l’ouverture de nouveaux
développements urbains plutôt que de chercher à consolider et donner de la
cohérence à des zones urbaines qui se parlent peu. Le discours des décideurs
n’était pas sans rappeler le lot d’hyperboles fantastiques si typiques des
promoteurs de chemin de fer du 19e siècle.
En rétrospective,
on peut sérieusement se demander si le débat de la vitesse de déplacement n’est
pas aussi un miroir aux alouettes. En effet, est-il pertinent de comparer les
grandes vitesses supersoniques aux transports en commun? Surtout lorsque le
rapport au temps sur les courtes distances n’est pas le même qu’au cours des
déplacements longue distance. On s’étonne aussi de voir qu’on s’obnubile à
l’idée de masses citoyennes en mouvement entre les grandes métropoles alors que
la réalité au quotidien nous montre plutôt que la plupart des déplacements sont
intra-régionaux.[1]
C’est
dans cet état de fait que s’entame cette série de courtes analyses consacrées à
la résurgence du réseau ferroviaire de banlieue de Québec, principalement par
une ré-exploration de l’emprise physique originale du chemin de fer Quebec
Montmorency & Charlevoix[2]
qui se superpose à merveille avec les besoins et aspirations actuelles de la
région de Québec.
La
réflexion proposée se base à la fois sur ma thèse de maîtrise en architecture
qui avait exploré le potentiel urbain de cette ligne ferroviaire, mais aussi de
discussions avec divers acteurs du milieu et d’autres observateurs du monde du
rail réunis lors du Colloque ferroviaire annuel organisé par le Groupe TRAQ.
La
forme sera celle de l’essai afin d’alléger la forme et le contenu, mais
toujours, lorsque requis, sources, statistiques et graphiques viendront appuyer
les thèses avancées afin de susciter la discussion sur des bases neutres et
solides. De plus, cette série d'articles ne vise pas à aborder ou remettre en question la gestion interne du Train touristique du Massif de Charlevoix, mais plutôt les conditions physiques quantifiables et les décisions publiques d'affaires qui l'ont façonné.
Historique
Le
chemin de de fer Quebec Montmorency & Charlevoix (QMC) est mis en fonction
en 1889 avec un triple but : relier
tous les sites touristiques d’envergure situés à l’est de la ville de Québec
afin de les mettre en valeur, canaliser le flot saisonnier important de
pèlerins à destination de la Basilique Sainte-Anne-de-Beaupré et desservir les
populations et industries locales.
Un des premiers convois à Sainte-Anne-de-Beaupré vers 1890. Noter les initiales H.J.B. inscrites sur le tender. (banq.qc.ca) |
À l’époque, ce projet pouvait sembler un peu fou puisque la ligne traverse une région largement rurale, toutefois, le pari fut tenu et les résultats furent impressionnants pour le contexte. On pourrait attribuer, en grande partie, le succès de la ligne à la figure emblématique de son fondateur et président, Horace Jansen Beemer. Toutefois, le traiter en héros a le fâcheux défaut de passer en sourdine ce que cet entrepreneur avait perçu dans le potentiel de la région et comment il avait entrepris de l’exploiter. Bien sûr, Beemer était l’artisan de nombreux projets, incluant le chemin de fer Quebec & Lake St. John, le P’tit train du Nord du Curé Labelle, et le promoteur de l’hôtel Roberval. Était-il un homme chanceux, bien connecté, né sous une bonne étoile? En partie, mais au final, pas vraiment. À son époque, plus d’un ambitieux a tenté le démon du chemin de fer sans obtenir la réussite. Les grands visionnaires étaient légions comme la série d’ouvrages Railways in Southern Quebec écrits par Derek Booth nous le prouve.
Le
génie de Beemer n’était en fait qu’un simple pragmatisme doublé d’une lucidité
entreprenante. Sa formule? Observer les lieux, comprendre leur potentiel et
mettre en place des réseaux qui correspondent réellement au besoin. Les trois
lignes ferroviaires de Beemer précédemment décrites se sont toutes articulées
autour d’une même logique. Tentons donc de la découvrir pour mieux comprendre
la nature de ces réseaux qui ont largement dépassés le rôle attribué.
Les
trois lignes avaient en commun le transport saisonnier des touristes. Les
Laurentides au nord de Saint-Jérôme, la chute Montmorency et la Basilique
Sainte-Anne sur la Côte-de-Beaupré et les sites de pêches exceptionnels du
Saguenay-Lac-Saint-Jean. Beemer savait que ces sources de revenus pouvait être
capricieuses et fluctuantes, mais nécessaires pour financer une ligne avant que
celle-ci ne puisse financièrement se soutenir avec le trafic local. L’idée
était simple, mais logique : l’argent du tourisme était réinvesti dans
l’infrastructure et l’amélioration du service.
La gare Saint-Paul et les autorails électriques vers 1950 (tiré de Québec Urbain) |
Sur
la Côte-de-Beaupré, la Quebec Montmorency & Charlevoix fut ambitieuse. En
moins de 15 ans, la ligne était complètement électrifiée grâce au pouvoir de la
chute Montmorency. À cela s’ajoutait la mise en place d’hôtels dont le fameux
Manoir Montmorency et son jardin zoologique, et surtout un service flexible de
billets permettant aux touristes de voyager sur le réseau à des prix
intéressants pour visiter, un à un, les lieux d’intérêt. Doit-on passer sous
silence que les touristes étaient cueillis aux portes mêmes du Vieux-Québec
afin de faciliter les déplacements et l’exposition des sites touristiques qu’on
se promettait de mettre en valeur?
L’autre
décision judicieuse de la Quebec Railway Light & Power Company
(QRL&PCo), la nouvelle identité corporative du regroupement des tramways de
Québec et du réseau QMC, fut d’offrir un service local qui se moulait au
contexte. Les temps de marche furent réduits au minimum en prévoyant des arrêts
à tous les kilomètres. Ainsi, entre Saint-Joachim et Québec, c’était 52 points
d’arrêts possibles qui ponctuaient le trajet. L’étudiant, le cultivateur,
l’ouvrier et le notable avaient tous accès à un transport littéralement
accessible au pas de leur porte. Mieux encore, les horaires s’arrimaient aux
tramways de Québec et aux diverses usines et institutions desservies. Rater le
train n’était pas grave, un autre suivrait bientôt. L’usage de l’électricité
permettait d’augmenter la cadence des départs et l’efficacité des déplacements
(arrêts et départs plus rapides que les locomotives à vapeur). D’ailleurs, on
avait pris soin de dédoubler la voie ferrée partout où nécessaire,
principalement entre Québec et la chute Montmorency.
Cela
signifiait donc qu’on pouvait utiliser le réseau pour des déplacements vers la
grande ville, mais aussi pour se rendre au village d’à côté ou à l’usine du
bout de la paroisse. Bref, flexibilité et régularité. Deux attributs
incontournables du transport en commun. Cela expliqua en grande partie comment
la ligne a pu tirer du profit en déplaçant des passagers dans une zone rurale
peu urbanisée. Le chemin de fer permettra d’ailleurs de consolider les pôles de
développement autour des gares principales, l’exemple de Sainte-Anne-de-Beaupré
et de Beaupré étant particulièrement frappant.
La
recette demeura inchangée jusqu’à l’achat de la ligne par le Canadien National
(CN) en 1951. Deux facteurs allaient entraîner la mort rapide du réseau :
le dédain du CN à exploiter une ligne interurbaine et la compétition féroce du
boulevard Sainte-Anne construit parallèlement à la voie.
On a
souvent considéré que le boulevard avait tué la ligne. Est-ce vraiment la pure
réalité? En fait, non. Le CN ne s’est pas gêné pour donner un coup de pouce à
l’effondrement de l’affluence. La technique, éculée, a fonctionné à merveille.
Elle consistait à modifier les horaires pour les rendre incompatibles avec
celui des employeurs. Le train partait trop tard le matin et revenait trop tôt
le soir. Un tel service déconnecté de la réalité avait tout pour convaincre
l’utilisateur moyen d’investir dans une voiture et d’utiliser la nouvelle
route. Le cercle vicieux était désormais établi et en mars 1959, le service se
terminait une fois pour toute.
La une du 14 mars 1959 consacrée à l'abandon du service passager régulier. (Tiré du livre Les Tramways de Québec, Jacques Pharand) |
Entre
temps, l’espace urbain enviable de l’ancienne gare située au centre-ville de
Québec, près de l’actuel édifice TELUS (ancien bureau de poste), fut
complètement déconnecté du réseau ferroviaire au point que le rétablissement du
lien est désormais impossible. En un an, toute l’infrastructure fut détruite,
bradée et mise au rancard au point que l’observateur actuel aurait bien des
misères à imaginer que la voie unique parcourant la Côte-de-Beaupré fut
autrefois un prospère réseau interurbain développé et intégré intimement à sa
région.
La fin de la gare Saint-Paul approche alors que le quartier environnant est rasé pour faire place à un stationnement à la fin des années 1950. (Tiré du livre Les Tramways de Québec, Jacques Pharand) |
Le
pari du CN était, à long terme, risqué. Il s’appuyait sur l’illusion que la
base industrielle de la région durerait et fournirait suffisamment de trafic
pour générer des profits rapides sans l’encombrement de la gestion d’un réseau
passager. À la fin des années 1970, la désindustrialisation du Québec frappait
fort et les usines qui semblaient faites pour durer allaient tomber les unes
après les autres.
La
Distillerie de Beaupré démarra le bal, suivi de l’emblématique Dominion
Textile, puis ce fut Brique Citadelle. L’avenir de la ligne était glauque et le
CN la vendit aux Chemins de fer du Québec (CFQ). Commença alors un long déclin
avec la fermeture de la Cimenterie du St-Laurent, construite pour fonctionner
pendant 100 ans, la démolition de l’usine Abitibi de Beaupré et finalement la
mort lente mais assurée de l’ancienne Donohue de Clermont.
Ironiquement, la seule chose qui augmentait alors que la
base industrielle s’effondrait fut la cohorte de banlieusards habitant la
région et faisant la navette entre la Côte-de-Beaupré et Québec, soir et matin.
Ils étaient moins de 6000, presque tous plus ou moins dépendants de
l’agriculture avant les années 1950. Ils sont maintenant plus de 22 000, dépendants
en majorité de la ville de Québec pour leur subsistance.
Quant
aux touristes, ils sont toujours aussi nombreux même si les destinations de la
Côte-de-Beaupré souffrent à cause de la dénaturation accélérée de la qualité
des attraits touristiques et des options de transport désormais médiocres. Dans
Charlevoix, de nombreux projets intéressants souffrent en contrepartie de
l’isolement relatif de leur position. C’est là que la courte expérience du
récent Train léger de Charlevoix (TLC) entre en ligne de compte et qu’elle
montre que la recette Beemer, loin d’être dépassée, n’a jamais été autant
d’actualité. Il est toutefois malheureux que les promoteurs de la première
mouture du Train touristique du Massif de Charlevoix n’aient pas eu la même
sensibilité au milieu et tentés, sans succès, d’imposer un remède miracle qui
n’avait rien à voir avec la condition réelle du patient.
L’illusion du Quebec & Saguenay Railway
Si l’histoire de la division Montmorency
de la QRL&PCo entre Québec et Saint-Joachim s’avère un cas d’étude positif,
la rocambolesque aventure de la complétion de la ligne vers le Saguenay donne
une triste leçon du sort réservé aux projets qui ne tiennent pas compte du
contexte.
Horace Jansen Beemer avait reculé
prudemment face au projet initial de poursuivre la ligne vers Charlevoix. Les
raisons étaient multiples et allaient plomber les ailes du futur réseau pour
longtemps. Les falaises escarpées de Charlevoix et les vagues du fleuve
offraient un milieu hostile à l’implantation du rail. Non seulement le coût de
construction était-il élevé à cause des remblais, des tunnels et des
excavations importantes à flanc de montagne, mais les vagues, les glaces et les
capricieux ruisseaux en faisaient une ligne coûteuse à maintenir, une situation
qui se perpétue encore de nos jours comme en en témoignent les important travaux
de réhabilitation et de consolidation commencés en 2009. Pire encore, la
population faible et disséminée n’était pas suffisante pour garantir la
rentabilité du réseau à court, moyen et long terme.
Affaissement de la voie dans le secteur les Caps, date inconnue (charlevoix.qc.ca) |
Comme on pouvait s’y attendre, les
budgets de construction de la ligne furent rapidement grevés par les
dépassements de coût, l’ingratitude de la topographie et la construction de
tunnels. De nombreux affaissements de voie et des glissements de terrain
allaient s’ajouter au cauchemar (mettre une photo de glissement), et
finalement, l’usine de Clermont était mise en faillite. Il faudrait attendre la
fin des années 1920 pour que la famille Donohue réactive cette industrie de
manière probante.
Gare de Baie-Saint-Paul entre 1919 et 1926 (source inconnue) |
Bien entendu, la ligne ne vit jamais le trafic passager et
de marchandise escompté et les lubies de Forget de prolonger la ligne sur la
Côte-Nord jusqu’au Labrador demeurèrent lettre morte. Dès 1916, une entente
avec le gouvernement fédéral entérinait le transfert du réseau Q&S à l’état
canadien qui allait l’intégrer en 1919 dans un amalgame de chemins de fer
destinés à former le futur Canadien National (CN).
À partir de ce moment, la ligne fut exploitée comme un
service public et non plus comme une entreprise lucrative. Le service passager
fut discontinué le 30 avril 1977 lorsque le réseau routier dans les Caps fut mis à
niveau. Le sort du transport des marchandises a quant à lui été scellé par l’effondrement
de la base industrielle limitée de Charlevoix et la période d’hiatus causée par
la mise en place du Train touristique du Massif de Charlevoix.
De nos jours, ce réseau souffre toujours des défauts de sa
prémisse et ne pas en tenir compte peut vouer tout projet à l’échec. Néanmoins, il serait présomptueux de juger le succès de cette invraisemblable entreprise aux seuls résultats financiers. Au final, ce chemin de fer aura été instrumental dans le décloisonnement de la région charlevoisienne, son essor économique et le développement à long terme du tourisme.
L’échec du Train du Massif de Charlevoix
Peu
de personnes ont osé discuter en public de la déconfiture du Train touristique du
Massif de Charlevoix (TTC). Pourtant, il s’agit d’un exercice nécessaire,
d’autant plus que la plupart des gens connaissant de près ou de loin la nature
de ce projet avaient déjà prédit l’échec cuisant de la formule.
Reconnaître
l’erreur et en comprendre les causes est essentiel pour en tirer des leçons
d’avenir. On peut effectivement blâmer les promoteurs du projet de ne pas avoir
tenu compte de la réalité, d’un autre côté, on ne pourra jamais les blâmer
d’avoir tenté un projet régional qui aurait pu avoir du bon. Ne soyons pas
dupes. Sans le TTC, peut-être que les rails seraient irrémédiablement disparus
entre Québec et Clermont sans espoir de revenir.
Au
départ, le TTC se base sur une logique relativement similaire à celle de
Beemer : se servir du robinet du tourisme local et international pour
rentabiliser la ligne et ensuite la développer. Toutefois, la comparaison
s’arrête là. En effet, TTC a omis des points cruciaux, dont le point de départ
et les destinations.
Beemer
avait compris qu’un touriste qui ne connait pas la région sera peu tenté
d’utiliser un moyen de transport intermédiaire pour atteindre le train qui le
mènera au site de son choix. Sa gare était située au centre-ville, à un lieu où
convergeaient les touristes et les passagers de la ligne ferroviaire reliant
Montréal. Les paquebots accostaient tout près et des tramways
cueillaient les touristes des hôtels de la ville pour les amener directement à
la gare.
Que doit-on en comprendre? Premièrement, le touriste était directement pris en charge dans une ville qu’il ne connaissait pas. L’accès au train était direct, voir intuitif. D’ailleurs, la gare Saint-Paul (QMC) était aussi adjacente à l’importante jonction des tramways du Carré Parent. De plus, les tarifs entre les réseaux étaient arrimés de façon à rendre l’expérience la plus simple possible. Finalement, les attraits touristiques étaient bien annoncés dans la ville de manière à créer le besoin de les visiter.
Localisation de la gare Saint-Paul par rapport aux autres réseaux de transport vers 1890 (Google Earth, 2015) |
Sur ce point, les choix du TTC s’avèrent funestes. La gare de départ, située à la base de la chute Montmorency est le pire endroit à choisir. En effet, il s’agit d’une destination et non d’un point de départ. Dans ce lieu périphérique de la banlieue, le réseau d’autobus qui s’y rend est pour le moins obscur pour le touriste, et il n’est pas rare qu’il s’y perde. À vrai dire, le visiteur néophyte peut difficilement savoir comment se rendre à la chute. Une fois qu’il y est, la signalisation famélique risque de l’égarer encore plus. De plus, à aucun moment, TTC ne semble avoir envisagé annoncer son offre au centre-ville ou tenté de séduire les touristes des bateaux de croisière.
Localisation de la gare du TTC à la chute Montmorency et sa relation improbable avec le réseau Métrobus (Google Earth, 2015) |
De
plus, l’incapacité à intégrer le nouveau train aux parcours du RTC est loin
d’encourager la réussite. La ligne demeure un trajet complètement séparé des
réseaux de transports existants (bus et train) et difficile d’accès (automobile
et autocar). Comment alimenter un tel train alors qu’il se court-circuite
lui-même.
La
question des destinations est tout aussi obscure. Beemer avait basé toute son
offre de service sur deux attractions mondialement connues à l’époque : la
chute Montmorency et la Basilique Sainte-Anne. Pour le touriste du temps, on
pouvait immédiatement comprendre les bénéfices à voyager sur le réseau.
Dans
le cas du TTC, il n’y a pas de destination claire, mais plutôt une expérience à
bord. On pourra s’étonner avec justesse de cette décision délibérée à tourner
le dos aux attraits touristiques majeurs de la région.
Regardons
de plus près l’offre. Le départ a lieu sur un site touristique majeur qu’on n’a
pas le temps d’apprécier, soit la chute Montmorency. De plus, l’environnement
immédiat de la zone de départ est une agglutination de stationnements
rébarbatifs et de la friche industrielle de l’ancienne Dominion Textile. On
pourrait comparer cette expérience à une représentation cinématographique qui
nous présenterait la conclusion d’un film, dans une salle jonchée de déchets,
et ce, avant de nous mettre à la porte une fois le générique terminé. Il s’agit-là
d’une mise en scène du produit d’appel qu’on peut, à juste titre, considérer
comme fausse.
À l’autre
bout de la ligne, la « destination » finale, soit l’Hôtel La Ferme,
s’avère, du point de vue touristique, sans intérêt. La visite d’un hôtel
contemporain similaire à ce qui se trouve un peu partout dans le monde, dans un
site marginal situé dans un champ, n’a rien pour évoquer des envies de voyager
de la part du public-cible, et ce malgré le charme modeste de Baie-Saint-Paul
et la pertinence de l’hôtel à cet endroit. Quant à l’expérience offerte,
explorons-là un peu.
Point de départ du TMC au pied de la chute Montmorency, à l’emplacement d’une friche industrielle (TripAdvisor) |
L’idée
d’une croisière gastronomique vise à offrir deux choses : la contemplation
des magnifiques paysages côtiers de Charlevoix et la consommation de haute
gastronomie locale. En apparence, deux buts forts louables. Toutefois, la
distance à parcourir vient contrecarrer le plan original.
En
effet, nous l’avons déjà dit, la ligne dans Charlevoix est fort coûteuse à
entretenir mais n’offre aucune source de revenus appréciables. C’est une des
raisons pourquoi Beemer avait abandonné son plan d’expansion au-delà du Cap
Tourmente. Hors, qui dit croisière dit déplacement lent. Qui plus est, un repas
gastronomique a un prix à payer. Lorsqu’on additionne les deux, on se retrouve
avec un résultat peu enviable : coûts d’exploitation élevés, coût de repas
élevés et temps de parcours beaucoup trop long pour l’expérience vécue
lorsqu’on tient compte de l’aller-retour. Le prix exigé pour maintenir
l’opération rentable s’avère astronomique, réduisant le public-cible. De plus,
il s’agit d’une expérience si longue et si coûteuse qu’elle n’invite pas à la
refaire une deuxième fois ou à la recommander. Nous voilà avec un produit qu’on
ne peut consommer qu’une seule fois; en d’autres mots, une croisière « jetable ».
Voilà une contradiction plutôt ironique par rapport aux ambitions de développement
durable des promoteurs du Massif de Charlevoix.
Maintenant,
ajoutons le facteur précédemment identifié que le TTC n’est pas facilement
accessible; on se retrouve avec un éléphant blanc qui rejoint une clientèle-cible
extrêmement limitée. Voilà qui n’a rien de brillant pour l’avenir du service
sous sa forme actuelle.
On
peut aussi questionner le choix de n’avoir jamais tenté d’offrir un servir
hivernal permettant de relier efficacement le centre de ski du Massif de
Charlevoix à la ville de Québec. Les skieurs sont pourtant la clientèle
récurrente la plus facile à fidéliser aux avantages combinés du rail et du ski.
Malheureusement, aucun effort réel n’a été consenti à développer ce créneau
pourtant annoncé dans la première mouture du TTC. Pourtant, la propriété
conjointe du train et de la montagne appelait à mettre en place cette synergie
naturelle et logique qui aurait avantageusement positionné Le Massif comme une
destination accessible et conviviale.
Là
où Beemer avait démocratisé son offre pour toucher un maximum de clients
potentiels, le TTC, au contraire, par une étrange décision d’affaire qui va à
l’encontre de son champ d’activité économique, se coupe volontairement d’un
maximum de clients potentiels.
Train de neige organisé par la QRL&PCo pour un club de raquetteur à la gare de Beaupré. Début du 20e siècle. (les Archives du Photographes) |
Il est
aussi intéressant de faire une comparaison rapide avec les deux projets
précédents d’excursion ferroviaire qu’étaient les deux tortillards exploités
d’abord dans les années 1980 et ensuite au milieu des années 1990. Dans les
deux cas, l’expérience s’est avéré un cuisant échec alors que l’offre était nettement
plus populaire. Les deux souffraient d’avoir des points de départ flous, malgré
le fait que leur destination était claire (Manoir Richelieu). De plus, le
manque de flexibilité de l’offre condamnait les voyageurs à voir défiler les
attraits plutôt que de les visiter.
Le premier Tortillard du Saint-Laurent à Baie-Saint-Paul dans les années 1980 (carte postale, www.irhcfq.org) |
En
définitive, après trois expériences ferroviaires en trois décennies avec des
approches légèrement différentes, on se rend compte que la simple offre
d’excursion ferroviaire est vouée à l’échec si elle ne tient pas compte du
contexte et ne vise pas activement à lier des points d’intérêts de manière
flexible. La viabilité du projet ne peut se réaliser que par la fidélisation
d’une clientèle aux intérêts variés pouvant soutenir le réseau toute l’année.
Le Train léger de Charlevoix (TLC)
Y
a-t-il de l’espoir pour le transport des personnes dans Charlevoix et sur la
Côte-de-Beaupré? Il semble bien que la courte expérience du Train léger de
Charlevoix (TLC) ait mis le doigt sur un point que j’ai longtemps
défendu : tenir compte du contexte local. L’approche du directeur, Frédéric
Garant, n’a rien de glamour ni de spectaculaire. Un ancien train de banlieue
banal composé d’automotrices diésel qui relie deux villes régionales
d’importance et qui s’arrête à tous les points d’intérêts situés entre elles.
Le parcours est relativement court, la quantité d’attraits desservis importante
et l’accessibilité des prix rend vraiment ce moyen de transport démocratique.
La preuve? L’achalandage a été au rendez-vous et l’impact direct dans chacune
des communautés traversées. Mieux encore, la présence d’un chemin de fer qui
réunit divers attraits d’envergure moyenne a permis de leur donner une synergie
qui les dépasse.
Doit-on
s’étonner que les caractéristiques de cette nouvelle offre sont les mêmes que
celles employée 120 ans plus tôt par Horace Jansen Beemer? Non, M. Garant et
son équipe n’ont rien d’un héros eux non plus. Simplement, ils semblent être
comme leur prédécesseur, des réalistes capables de travailler avec le milieu.
TLC
ambitionne déjà d’augmenter la cadence, probablement d’améliorer la vitesse, de
relier les attraits de la Côte-de-Beaupré et de partir de Québec. Est-ce
raisonnable? Probable. Du moins, la recette de TLC, qui consiste à tenir compte
des acteurs locaux et du contexte, semble lui donner raison. En fait, TLC n’est
pas réfractaire à l’idée de rétablir un service passager interurbain et
transcender les conditions d’existence extrêmement capricieuse d’une ligne
strictement touristique. En ce sens, le réveil tardif de la Côte-de-Beaupré à
la question des transports en commun est néanmoins positive pour l’avenir.
Cette
MRC n’est pas reconnu pour avoir une vision d’avenir très durable, mais la
question des transports, qu’on esquivait du revers de la main il y a moins de 5
ans est désormais de retour sur le tapis. Mieux encore, l’expérience du réseau
d’autobus PLUmobile prouve, dans sa courte existence, que la demande est réelle
sur la Côte-de-Beaupré. Comment s’en surprendre, l’ancienne population rurale
avait été en mesure de faire survivre la QRL&PCo dans des conditions
beaucoup moins favorables. Du moins, l’intégration de Sainte-Anne-de-Beaupré au
parcours du TLC prévu pour 2015 est en soit un pas positif qui mérite d’être
souligné.
Des balises pour l’avenir
Le
plus gros défi pour TLC est de définir un véritable terminus à sa ligne. Une
gare capable de le brancher directement sur Québec et les pôles économiques. Un
lieu facile d’accès, central, identifiable facilement par les touristes et
pratique pour les gens locaux. Il doit aussi être facile à mettre en valeur,
disponible et aisé à intégrer au Réseau de transport de la Capitale (RTC).
Visiblement,
le lieu tout indiqué est D’Estimauville. Sa séparation du réseau du CN lui
permet d’éviter les limitations réglementaires liées à l’utilisation de
matériel passager léger sur des voies dédiées aux marchandises, ce qui est loin
d’être une contrainte réglementaire qu’on passer sous silence. De plus, soyons
réalistes, l’accès à la gare du Palais nécessiterait des aménagements et des
négociations complexes, vraisemblablement impossibles à régler dans des délais
raisonnables. Finalement, cette gare n’a plus la valeur centrale qu’elle a eue
dans le passé. Dit simplement, il s’agit désormais d’un cul-de-sac mal desservi
par le RTC et qui ne rayonne pas dans la région. Bien entendu, rien n’interdit
à terme d’y rétablir un terminus si les conditions du moment s’y prêtent.
Au
contraire, D’Estimauville offre un lien direct avec le terminus Beauport, l’un
des plus importants de la région où quatre lignes Métrobus permettent
d’atteindre tous les points importants de la ville. Mieux encore, on y retrouve
une multitude de parcours express qui relient les centres d’emploi, les
commerces et les institutions d’éducation. Le réaménagement du quartier aura à
terme un impact important sur la fréquentation du lieu. De plus, le RTC n’a
jamais caché son intention de réaménager le terminus. Il s’agirait là d’une
occasion en or pour mettre sous un même toit trains de banlieue et autobus. En
effet, la question des correspondances est cruciale pour offrir un service de
qualité et augmenter l’affluence.
L’autre
gros défi sera d’offrir une cadence permettant d’utiliser le réseau toute la
journée. Il s’agit de la seule manière de rendre le chemin de fer attrayant
pour les utilisateurs en les libérant du carcan d’une offre limitée aux heures
de pointe. Pour les touristes, c’est aussi une garantie unique de pouvoir
visiter plusieurs attraits dans la journée à son rythme.
Les
points de dessertes devront être stratégiquement choisis afin de limiter les
parcours à pied au maximum. La présence de gares complexes ne sera pas requise
et ont devrait plutôt envisager d’utiliser ces budgets pour offrir des points
de service flexibles et variés. Ne l’oublions pas, une partie appréciable du
trafic pourrait être générée à l’interne comme le prouve l’enquête
Origine-Destination de 2011. Relier les deux terminus n’est qu’une option parmi
tant d’autres.
Du
point de vue des attraits touristiques, ils ne manquent pas. On peut déjà
imaginer que la chute Montmorency, la Basilique Sainte-Anne, le
Mont-Sainte-Anne, le Cap Tourmente, le Massif de Charlevoix, Baie-Saint-Paul,
l’Isle-aux-Coudres, Saint-Irénée, Pointe-au-Pic (Manoir Richelieu et Casino de
Charlevoix) et La Malbaie seraient des incontournables. De plus, l’association
à des lieux aussi réputés permettrait d’arrimer la mise en valeur du chemin de
fer à travers leur rayonnement.
N’oublions
pas qu’en partenariat avec Le Massif de Charlevoix, l’option de trains de neige
quotidiens à destination des pentes, offrant un potentiel de soirées après-ski
à bord lors du voyage de retour vers Québec, devrait être sérieusement
examinée.
À
moyen terme, l’utilisation de l’électricité serait aussi envisageable, surtout
avec la construction de la nouvelle centrale hydroélectrique de Saint-Joachim.
En effet, il s’agit d’un mode de locomotion qui offre une plus grande
flexibilité d’opération et qui pourrait être soutenu par les divers programmes
de subvention à l’innovation technologique.
Conclusion
Ce
survol de plus d’un siècle de transport ferroviaire sur la Côte-de-Beaupré et
Charlevoix nous démontre que loin d’être disparue, la raison d’être de ce
réseau s’est développée et fortifiée à travers le temps. Les échecs passés sont
surtout imputables à un refus à intégrer les conditions locales plus qu’à un
manque d’ambition. L’idée de percevoir le projet comme un tout qui se suffit en
lui-même aura été la pierre d’achoppement pour trois entreprises touristiques.
En revanche, la sensibilité au contexte et aux besoins locaux a permis des
retombées réelles et quantifiables pour le QMC, le QRL&PCo et, visiblement
pour TLC. L’expérience de TLC est courte, mais elle a le mérite d’être humble
dans ses prétentions, réaliste dans ses moyens et ambitieuse dans sa capacité à
envisager de manière globale ses activités. La réponse initiale des élus et des
centres locaux de développement à la formule montre qu’un appui sérieux de la
population est envisageable à terme.
Si
la région de Charlevoix semble avoir compris la leçon, il reste beaucoup de
travail à faire pour la Côte-de-Beaupré et Québec. Sous quelle forme peut-on
envisager un organisme capable de connecter le RTC, PLUmobile et TLC? Quelle
plateforme de diffusion utiliser? La question reste entière et là repose le
sens à donner à nos actions.
Il
serait aussi naïf de ne pas comprendre que la question des transports se pose
aussi en regard de l’aménagement du territoire. Dans un cas aussi sensible que
la Côte-de-Beaupré, sera-t-il possible de balancer la soif de développement des
certains décideurs et l’impératif de protection du territoire agricole? Car ne
soyons pas dupe, le point d’équilibre où la région n’aura absolument plus
aucuns points qui la démarque de Repentigny et Longueuil sera bientôt franchis.
Dans un tel contexte, le tourisme aura-t-il encore un avenir?
Références
Train de banlieue sur la Côte-de-Beaupré : la patience
est de mise (24 février 2015)
Le train léger de Charlevoix s’arrêtera à
Sainte-Anne-de-Beaupré (24 février 2015)
Train léger de Charlevoix : entre fleuve et falaise (4
février 2015)
Une « pause » pour le train touristique du Massif
(27 janvier 2014)
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/transports/201501/27/01-4839024-une-pause-pour-le-train-touristique-du-massif.php
Le chemin de fer de Charlevoix
http://le100sainte-anne.charlevoix.net/chemindefer.htm
Grumley, J.R.Thomas (2008), Quebec Railway Light & Power Company: Citadel Division, Bytown Railway Society.
Grumley, J.R. Thomas (2006), Quebec Railway Light & Power Company: Montmorency Division, Bytown Railway Society.
Lavallée, Omer S.A. (1959), Le chemin de fer de la Bonne Sainte-Anne, brochure.
Pharand, Jacques (1998), Les tramways de Québec, Éditions MNH.
Le chemin de fer de Charlevoix
http://le100sainte-anne.charlevoix.net/chemindefer.htm
Bibliographie
Grumley, J.R.Thomas (2008), Quebec Railway Light & Power Company: Citadel Division, Bytown Railway Society.
Grumley, J.R. Thomas (2006), Quebec Railway Light & Power Company: Montmorency Division, Bytown Railway Society.
Pharand, Jacques (1998), Les tramways de Québec, Éditions MNH.
Abbréviations
CFQ – Société des chemins de fer du Québec (1993-2009)
CFC – Chemin de fer Charlevoix (1994-2009)
CN – Chemin de fer Canadien National (1951-)
QMC –
Quebec Montmorency & Charlevoix Railway (1889-1904)
QRL&PCo
– Quebec Railway Light & Power Company (1904-1951)
Q&S –
Quebec & Saguenay Railway (1905-1919)
RTC – Réseau de transport de la Capitale (2002-)
TLC – Train léger de Charlevoix (2014-)
TTC – Train tourisque du Massif de Charlevoix (2009-)
[2] La
ligne originale du Quebec, Montmorency & Charlevoix Railway correspond au
chemin de fer reliant Limoilou à Clermont, soit l’ancienne subdivision Murray
Bay du Canadien National et l’actuelle emprise utilisée par le Train
touristique du Massif de Charlevoix. Ce réseau fut surtout connu entre 1900 et
1959 sous l’appellation de Quebec Railway Light & Power Company
(QRL&PCo).