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Bienvenue sur ce blog consacré à l'étude du chemin de fer parcourant la Côte-de-Beaupré et Charlevoix depuis 1889. Ce projet se présente sous forme d'essais visant à mieux comprendre les mécaniques qui ont façonné cette ligne ferroviaire dans le passé, le présent et le futur. L'objectif premier est, à travers une approche critique, de mettre en relief le potentiel ferroviaire de la région, déboulonner certaines perceptions et fournir des informations quantifiables afin de de proposer des hypothèses à discuter avec les acteurs locaux en vue du rétablissement à terme du service passager régulier. N'hésitez pas à faire part de vos réactions, commentaires et observations puisqu'il s'agit bel et bien d'une discussion.

mardi 3 mars 2015

L'illusion de la vitesse...


L’un des plus grands mythes entourant l’usage de l’automobile est sa supériorité absolue en termes de vitesse. On y compare défavorablement le train, victime des nombreux arrêts en cours de route et sa moins grande flexibilité à couvrir le territoire. À vrai dire, et à l’instar de plusieurs autres débats de société, on aurait tort de vouloir couronner un seul gagnant alors que la solution pragmatique est multiple et  complémentaire.


La Côte-de-Beaupré: le rail et la route se côtoient sur plus de 25 kilomètres.



Un parcours, deux moyens


La grande force de la voiture est sa flexibilité. Sous des conditions normales, elle permet de relier virtuellement presque toute destination au seuil de la porte et c’est là sa principale force. En revanche, les conditions météorologiques, la congestion routière, la topographie, l’état du conducteur et les coûts d’utilisation constituent ses principales faiblesses.

Le train, quant à lui, est beaucoup moins flexible puisqu’il relie des points fixes le long d’une ligne préétablie. C’est une des raisons pourquoi la localisation des gares doit être méticuleuse et tenir compte des connexions possibles avec d’autres modes de transport. Malgré cela, le train a généralement un avantage décisif sur la voiture lorsque les conditions météorologiques se détériorent et, normalement, il est complètement indépendant du trafic. Il se prête donc très bien aux itinéraires réguliers et prévisibles.

Sur les longues distances, il faut aussi tenir compte de la fatigue physique accumulée par un conducteur de voiture. C’est ainsi qu’un aller-retour Québec-La Malbaie est loin d’être une sinécure. Les routes à l’est de Beaupré sont habituellement tortueuses et montagneuses, elles requièrent une vigilance accrue du conducteur par rapport à un parcours de plaine tel que l’autoroute 20 en direction de Montréal. Il faut aussi tenir compte du fait qu’un voyage en voiture qui dure plus d’une heure génère habituellement des inconforts physiques aux passagers beaucoup plus importants que ceux générés par un voyage en train. À ce sujet, nous invitons toute personne curieuse à comparer le confort relatif d’un voyage Québec-Montréal en automobile, en autocar et en train. La différence est frappante.



La valeur du temps


Un autre aspect dont on doit tenir compte en analysant le temps de parcours est la qualité des activités réalisées pendant la période de déplacement. Prenons par exemple un cas hypothétique d’un trajet AB. En automobile, il prend 1h00 tandis que le train parcours la même distance en 1h30.

À première vue, la personne qui aura une utilisation la plus optimale de son temps est celle prend la route puisqu’elle consacrera un temps plus limité au déplacement. Toutefois, cette heure consacrée à se déplacer est une perte de temps. En effet, le conducteur consacre près de 100% de son activité à la conduite du véhicule. Il lui est donc impossible de réaliser d’autres tâches plus utiles ou encore de se reposer, à moins de se consacrer à des activités dangereuses ou illégales! À l’arrivée, il aura perdu une heure de sa journée et accumulé un temps égal de fatigue mentale et physique à cause de la concentration requise sur la route.

En revanche, l’utilisateur du train pourra utiliser l’heure et demi de son déplacement à d’autres tâches plus significatives. Il pourra lire un livre, préparer des documents d’affaires, gérer ses communications, discuter avec un voisin ou tout simplement se reposer, regarder le paysage ou dormir. À son arrivée, il sera à la fois en forme et n’aura pas eu l’impression que le déplacement ait hypothéqué la productivité de sa journée.



Un cas réel


Maintenant, regardons les nombres réels qui s’appliquent au chemin de fer Québec, Montmorency & Charlevoix.

Pour le besoin de la cause, nous utiliserons l’indicateur du Canadien National (CN) publié en 1975, soit vers la fin du service régulier entre Québec et Clermont (avril 1977). On y retrouve les horaires, arrêts, temps de parcours et, chose intéressante, les vitesses maximales permises tout le long de la voie ferrée. Prenons aussi le temps de mentionner que cette année-là, la ligne n’était déjà plus au sommet de sa gloire et que le service était décadent par rapport à ce qu’il avait déjà été.

Extrait du CN St. Lawrence Region - Quebec Area - Employees' Operating Time Table - April 27th 1975 (Collection personnelle)

Extrait du CN St. Lawrence Region - Quebec Area - Employees' Operating Time Table - April 27th 1975 (Collection personnelle)

Les nombres fournis par le CN sont aussi intéressants puisqu’ils correspondent à l’utilisation d’automotrices diésel comparables au matériel roulant du Train léger de Charlevoix (TLC). De plus, ces données sont précieuses puisqu’il ne s’agit pas de chiffres optimaux, trafiqués par des utopistes consommés. Nous sommes en présence d’une information factuelle reflétant un service réel tenant compte des conditions existantes. Elle peut donc servir de base solide pour établir un modèle-type fiable pour un futur service à implanter. Il faut aussi garder en tête que ces temps de parcours ne tiennent pas compte de la distance résiduelle à parcourir pour atteindre la destination finale (marche, vélo, covoiturage, taxi, autobus, etc.).

Comparaison des temps de parcours ferroviaire et automobile entre D'Estimauville et La Malbaie (Matthieu Lachance)


Quant à la voiture, nous utilisons Google Maps et son générateur d’itinéraires qui permet d’obtenir une estimation des temps de parcours en automobile. Il est à noter qu’il s’agit de données brutes qui ne tiennent pas compte du trafic ou des conditions routières.



Trois types de déplacements


On peut découper le parcours ferroviaire entre Québec et Clermont en trois types de déplacements.

Trajet Québec-Clermont: Orange: Chemin de fer / Cyan: Route 138 / Vert: Route 362 (gracieuseté Google Earth)


Premièrement, les déplacements internes dans le corridor original Québec-Saint-Joachim qui correspondent effectivement à une réalité socio-économique bien ancrée dans la réalité géographique de ce bassin de population. D’ailleurs, l’étude Origine-Destination du Ministère des transports du Québec réalisée en 2011[1] nous montre que la plupart des déplacements effectués dans cette zone se limitent à la Côte-de-Beaupré, Beauport et le centre-ville de Québec.

Deuxièmement, les déplacements internes à la région de Charlevoix. En effet, la Côte-de-Beaupré et Charlevoix sont séparées par une chaîne montagneuse importante qui affecte historiquement les communications entre ces deux régions. En un mot, les échanges sont limités. À cela, il faut ajouter l’effet d’autarcie créé par l’isolement relatif de Charlevoix. Aucune étude Origine-Destination n’a pu être localisée à cet effet, mais il y a fort à parier qu’à l’exception du transport des marchandises, la plupart des déplacements s’effectuent entre les pôles de services que sont La Malbaie et Baie-Saint-Paul.

Troisième, les déplacements interrégionaux. Principalement, il s’agit des communications entre Charlevoix et Québec, bien qu’il ne faille pas négliger la part réduite des déplacements entre la Côte-de-Beaupré et Charlevoix.

La distinction entre ces types de déplacements est cruciale car il serait fallacieux d’évaluer l’efficacité du train et ses temps de parcours en ne tenant compte que d’un voyage reliant les deux terminus de la ligne. En réalité, la plupart des passagers, en conformité avec l’étude Origine-Destination, risquent de parcourir des portions de parcours relativement réduites. Ainsi, nous analyseront les temps de déplacement à l’échelle locale afin de mieux comprendre la relation entre le rail et la route.



Corridor Québec-Saint-Joachim


Ce corridor correspond à l’ancienne division Montmorency de la QRL&PCo qui était entièrement électrifiée. Il a l’avantage d’être parallèle à l’autoroute et de desservir directement les mêmes localités ce qui permet une comparaison directe des temps de parcours.

Côte-de-Beaupér: Orange: Chemin de fer / Cyan: Route 138 (gracieuseté Google Earth)


Pour nos besoins, nous partons de la prémisse que le terminus ferroviaire de Québec se situe sur l’avenue D’Estimauville, en relation avec le terminus Beauport du RTC. Le point de départ de notre automobile est fixé à l’intersection D’Estimauville-Boulevard Sainte-Anne.

On se rend compte que le temps de parcours du train est comparable à l’automobile et ce malgré des arrêts obligatoires dans chaque quartier et communauté desservie par le chemin de fer. C’est à Château-Richer que le chemin de fer est le moins compétitif avec 5 minutes de retard. Ailleurs, la différence est négligeable et probablement comparable en tenant compte des feux de circulation et autres aléas. À St-Joachim, le temps est identique. On arrive donc à la conclusion que pour tout déplacement sur la Côte-de-Beaupré qui ne nécessite pas de quitter la plaine, le train est une option viable, voire compétitive dépendant des conditions locales. De plus, la ligne dessert, dans un rayons de 500m de marche, à peu près tous les  pôles de services les plus fréquentés, ce qui limite significativement la distance résiduelle à parcourir.



Corridor de Charlevoix


Ce corridor correspond à l’ancien chemin de fer Quebec  & Saguenay. Nous prenons pour acquis que sa distance utile couvre la bande d’occupation humaine relativement continue située entre Petite-Rivière-Saint-François et Clermont. Toutefois, étant donné l’absence de données sur les temps de parcours entre La Malbaie et Clermont, nous nous serviront de La Malbaie comme terminus hypothétique. Il est à noter que l’on peut estimer la durée du parcours entre ces deux villes à un maximum de 10 minutes en interpolant les données de l’indicateur de 1975.

Charlevoix: Orange: Chemin de fer / Cyan: Route 138 / Vert: Route 362 (gracieuseté Google Earth)


Il faut aussi tenir compte d’un facteur décisif dans Charlevoix lié à la localisation de nombreux  villages sur la bande côtière. En effet, ceux-ci sont accessibles par des routes tortueuses et très escarpées. L’accident d’autocar ayant coûté la vie à 47 personnes en 1997 dans la côte des Éboulements est un exemple funeste de la dangerosité de ces routes, surtout pour des personnes peu familières avec la topographie accidentée de Charlevoix. De plus, l’accès à ces villages, où se concentrent souvent les activités touristiques principales, se fait habituellement par des chemins secondaires et des détours à partir de la route principale.

Comparons maintenant les données. Entre Petite-Rivière-Saint-François (Le Massif de Charlevoix) et Baie-Saint-Paul, le train est plus lent, soit 24 minutes contre 15 minutes. Cela est principalement causé par la géographie ingrate des caps qui imposent des restrictions de vitesse importantes. Toutefois, on doit tenir compte du fait que le centre-ville de Baie-Saint-Paul est notoire pour la congestion routière estivale importante qu’on y retrouve à certains moments de la semaine. À cet endroit, un seul pont permet de traverser la rivière et de rejoindre les villages situés sur la côte du côté est. D’expérience, plus de 15 minutes ou plus peuvent être requises par moment pour parcourir moins d’un kilomètre. Donc, dépendant des conditions, le train peut être parfois plus rapide.

Analysons maintenant le parcours Baie-Saint-Paul-La Malbaie. En voiture, il prend 40 minutes, et en train, il en prend 54. Il s’agit probablement d’un des parcours où le train ne gagne pas la course. Pourtant, la route reliant les deux villes est passablement dangereuse en plus de ne pas traverser directement tous les centres d’intérêts locaux des villages côtiers.  Aussi, il ne faut pas être dupe, la qualité visuelle des paysages de Charlevoix vu de la route s’est passablement dégradée avec le retour en friche des champs et l’abandon de l’agriculture. En effet, plusieurs des panoramas immortalisés par les cartes postales et les artistes, souvent largement diffusés à l’international, n’existent tout simplement plus. En revanche, les paysages traversés par le train dans ce secteur sont reconnus parmi les plus beaux de l’est du Canada. On comprend donc que les 14 minutes supplémentaires de déplacement en train sont largement compensées par un spectacle plus attrayant.

Paysage côtier typique de Charlevoix entre Cap Tourmente et Pointe-au-Pic (Le Massif de Charlevoix)


Poussons maintenant l’analyse plus loin en décortiquant les temps de parcours entre les localités côtières. Du point de vue touristique, elles sont souvent visitées l’une après l’autre afin d’en apprécier les divers attraits. Dans ce contexte de courtes distances, le train montre son avantage puisqu’en suivant les rives du fleuve, et ce malgré les restrictions de vitesse, il prend la route la plus courte entre les villages. Ainsi, on remarque que dans la plupart des cas, le train est beaucoup plus rapide, tandis que dans d’autres, il est relativement comparable. Seul le secteur entre Saint-Irénée et Pointe-au-Pic est plus rapide par la route, même si celle-ci est particulièrement accidentée. Un autre point décisif pour le train dans ce secteur est son lien direct avec le traversier de l’Isle-aux-Coudres. Il s’agit là d’un atout majeur du point de vue touristique.

On comprend donc qu’à l’interne, pour les déplacements sur la côte de Charlevoix, le train est une option viable, voir supérieure à l’automobile lorsque les conditions se dégradent. De plus, le chemin de fer, mieux localisé par rapport à la topographie, est plus apte à desservir efficacement les points d’intérêts que la route.



Déplacements interrégionaux


Ces déplacements se caractérisent principalement par les liens entre Québec et les pôles régionaux d’activités. Quelques parcours de bases ont été retenus pour fin de comparaison.

1) Entre Sainte-Anne-de-Beaupré et Baie-Saint-Paul, le parcours en train dure 1h06 tandis que l’automobile prend 48 minutes. La différence de 18 minutes est relativement importante en temps normal, mais elle doit être analysée en regard des facteurs décrits précédemment. Il ne s’agit pas d’un parcours très fréquenté par les populations locales, mais la situation est différente pour la clientèle touristique qui choisira toujours la route panoramique face à la route banale.

La voie ferrée au pied du Cap Tourmente - Automne 2014 (Matthieu Lachance)


2) Entre Québec et Le Massif de Charlevoix, le train prend 1h21 tandis que la voiture ne prend que 59 minutes. La différence de 20 minutes peut être facilement compensée en temps de qualité à bord du train pour les skieurs. De plus, la gare déjà existante à cet endroit est jumelée directement avec le remonte-pente.

Puisque ce déplacement est d’abord et avant tout utilisé par les villégiateurs, l’argument du temps est d’une importance plus relative. De plus, ce parcours est principalement pertinent l’hiver, lorsque les routes de Charlevoix sont moins sécuritaires. À cela, on peut ajouter qu’il est possible à un skieur de profiter pleinement d’une soirée d’après-ski sans avoir à s’inquiéter de la fatigue accumulée ou de l’alcool consommé. Ce facteur pourrait s’avérer décisif pour certains types de clientèles.

Gare de la Grande-Pointe par STGM Architectes (Stéphane Groleau photographe). Cette gare primée par cecobois en 2013 est probablement l'un des ajouts les plus pertinents et les mieux intégrés au réseau ferroviaire actuel.


3) Entre Québec et Baie-Saint-Paul, le train prend 1h36 tandis que la voiture effectue le parcours en un peu plus d’une heure. Si à première vue la voiture gagne, le trajet ferroviaire n’en est pas moins plus agréable. De plus, il n’est pas rare que plusieurs travailleurs, dont ceux du secteur de la santé, doivent parcourir cet itinéraire plusieurs fois par semaine. Sur ce point, le coût de l’essence et de l’usure de la voiture causée par la topographie difficiles, les risques d’accidents élevés dans ce secteur de la route 138[2] et la perte de temps de qualité ne sont pas négligeables. En assemblant tous les facteurs, on se rend compte que la demi-heure supplémentaire consacrée chaque jour à un aller-retour en train est largement compensée par les autres bénéfices pour certaines clientèles régulières et les touristes.

4) Entre Québec et La Malbaie/Manoir Richelieu, le train prend entre 2h22 et 2h30. En voiture, le même parcours prend 1h47. La différence de plus de 30 minutes peut sembler importante. Toutefois, sur une si longue distance, la fatigue causée par la voiture commence à être une variable non négligeable pour la qualité du déplacement.

5) Finalement, entre Baie-Saint-Paul et La Malbaie, le train prend 54 minutes contre 40 minutes en voiture. La différence, sur une distance relative courte, est importante. Toutefois, pour le touriste, le parcours ferroviaire est plus intéressant et les 14 minutes de différence sont insignifiantes en regard de l’expérience. D’autres clientèles à ne pas négliger sont les personnes âgées et les jeunes. L’absence de permis de conduire, la dégradation de la santé et d’autres facteurs qui les exclut de l’usage de l’automobile rend le parcours en train une alternative extrêmement attrayante et crédible pour accéder aux pôles de services régionaux. De plus, même en automobile, il s’agit d’un parcours relativement long et exigeant qui n’a rien à voir avec une balade au dépanneur du coin. Les facteurs précédemment expliqués s’appliquent donc à ce cas dans une mesure plus limitée.



Conclusion


Si la voiture demeure la reine de la grande vitesse, il n’en reste pas moins qu’elle est assujetti à plusieurs facteurs impondérables qui sont en dehors du contrôle du conducteur. De plus, les distances importantes entre les divers pôles régionaux font que le temps perdu en déplacement fini par avoir un impact non négligeable sur la qualité de vie en général.

À une époque où le temps de qualité est une ressource de plus en plus rare, on peut sérieusement se questionner sur la valeur à donner aux moments passés dans l’habitacle de la voiture. Il ne s’agit pas de remplacer l’automobile par le train, mais la possibilité de choisir dépendant du type de déplacement en cause. En effet, la région de Charlevoix, dont la population est largement disséminée, ne peut véritablement exister sans la versatilité indéniable de la route. Toutefois, pour de nombreux déplacements entre les pôles de services et la ville de Québec, bref, lorsque les distances prennent de l’importance, le train devient une option beaucoup plus attrayante et structurante, tant du point de vue local que du point de vue touristique.

Quant à la Côte-de-Beaupré, sa géographie linéaire et son rôle de banlieue de Québec la rend toute indiquée à l’implantation d’un service de train. En effet, même sans congestion routière, le train demeure compétitif à tous les niveaux. Qu’en sera-t-il lorsque le boulevard Sainte-Anne aura atteint son point de saturation?
Ainsi, on se rend compte que la valeur du temps est bien relative et qu’elle ne peut s’apprécier en se fiant au seul chronomètre. De plus, les déplacements en automobile confirment une tendance lourde qui dissocie les individus de leur communauté. En ce sens, les secteurs les plus récents de la ville de Québec nous prouvent qu’un développement axé uniquement sur le transport individuel n’a pas les moyens de créer des quartiers ni des synergies locales propres à susciter des activités économiques concertées.

Finalement, le train permet de démocratiser les déplacements auprès de tous les types de populations : travailleurs, étudiants, retraités, villégiateurs, touristes et gens d’affaires. On peut difficilement faire le même parallèle avec la voiture qui rime parfois avec exclusion et exode.

À ce sujet, il serait intéressant d’évaluer si le train pourrait avoir un impact bénéfique pour la rétention de la jeune population en région. Il ne s’agit probablement pas d’une panacée au dépeuplement des régions, mais certainement d’un facteur s’attrait à une époque où la possession d’une voiture est de moins en moins la norme chez les nouvelles générations. Serait-il possible qu’à trop vouloir se déplacer rapidement, nous sommes tombés dans le piège de l’exode?



La route 138 et les médias


Voici quelques cas récents et typiques des fermetures sur la route 138. Pour donner une idée générale de la récurrence de ces évènements, une préposée du Ministère des transports du Québec m’indiquait le 3 mars 2015 qu’elle estimait à environ 6 heures le temps requis pour colliger automatiquement les centaines de communiqués de presse émis au sujet des conditions routières de cette route depuis 2010. Cela n’incluait pas le temps requis pour classer manuellement tous les communiqués afin de les trier par degré de pertinence.

11 octobre 2014 : collision avec un orignal.
10 décembre 2014 : conditions météorologiques.
19 janvier 2015 : conditions météorologiques.



[2] Une demande de renseignement a été déposée auprès du Ministère des transports du Québec (MTQ) afin de connaître le nombre de fermeture de la route 138 à l’est de Beaupré depuis 2010. Malheureusement, les bases de données du MTQ ne permettent pas d’effectuer des recherches ciblées dans le temps et géographiquement sur un tronçon précis de route. Un nouveau système, actuellement en cours d’implantation, devrait permettre de retracer ce genre de données d’ici deux ans. Néanmoins, à une époque où la qualité des services aux citoyens est décriée, nous souhaitons souligner le professionnalisme et la diligence des préposés du Ministère pour avoir tenté, dans les plus brefs délais, de répondre à nos questions malgré les limitations du système.

vendredi 27 février 2015

Démystifier les ratés du train du Massif


Prémisse


Au cours des dix dernières années, la notion de transport en commun a été au cœur des débats dans la région de Québec. Plusieurs propositions ont été faite, certains réseaux d’autobus régionaux improvisés ont vu le jour avec un succès parfois surprenant, mais surtout, la discussion générale est restée au niveau de la panacée, du remède miracle à tous les maux. Ce fut d’abord le TGV, puis finalement le tramway.

Malheureusement, ce discours tonitruant, prôné, puis abandonné par les politiques au cours des années, a surtout servi à masquer la question de fond des déplacements sur le territoire et échaudé une population généralement réfractaire à changer des habitudes qui pourtant s’avèrent être un problème majeur dans la qualité de vie au quotidien et l’équilibrage des budgets.

Surtout, le transport a été analysé du point de vue de l’ouverture de nouveaux développements urbains plutôt que de chercher à consolider et donner de la cohérence à des zones urbaines qui se parlent peu. Le discours des décideurs n’était pas sans rappeler le lot d’hyperboles fantastiques si typiques des promoteurs de chemin de fer du 19e siècle.

En rétrospective, on peut sérieusement se demander si le débat de la vitesse de déplacement n’est pas aussi un miroir aux alouettes. En effet, est-il pertinent de comparer les grandes vitesses supersoniques aux transports en commun? Surtout lorsque le rapport au temps sur les courtes distances n’est pas le même qu’au cours des déplacements longue distance. On s’étonne aussi de voir qu’on s’obnubile à l’idée de masses citoyennes en mouvement entre les grandes métropoles alors que la réalité au quotidien nous montre plutôt que la plupart des déplacements sont intra-régionaux.[1]

C’est dans cet état de fait que s’entame cette série de courtes analyses consacrées à la résurgence du réseau ferroviaire de banlieue de Québec, principalement par une ré-exploration de l’emprise physique originale du chemin de fer Quebec Montmorency & Charlevoix[2] qui se superpose à merveille avec les besoins et aspirations actuelles de la région de Québec.

La réflexion proposée se base à la fois sur ma thèse de maîtrise en architecture qui avait exploré le potentiel urbain de cette ligne ferroviaire, mais aussi de discussions avec divers acteurs du milieu et d’autres observateurs du monde du rail réunis lors du Colloque ferroviaire annuel organisé par le Groupe TRAQ.

La forme sera celle de l’essai afin d’alléger la forme et le contenu, mais toujours, lorsque requis, sources, statistiques et graphiques viendront appuyer les thèses avancées afin de susciter la discussion sur des bases neutres et solides. De plus, cette série d'articles ne vise pas à aborder ou remettre en question la gestion interne du Train touristique du Massif de Charlevoix, mais plutôt les conditions physiques quantifiables et les décisions publiques d'affaires qui l'ont façonné.


Historique


Le chemin de de fer Quebec Montmorency & Charlevoix (QMC) est mis en fonction en 1889 avec  un triple but : relier tous les sites touristiques d’envergure situés à l’est de la ville de Québec afin de les mettre en valeur, canaliser le flot saisonnier important de pèlerins à destination de la Basilique Sainte-Anne-de-Beaupré et desservir les populations et industries locales.

Un des premiers convois à Sainte-Anne-de-Beaupré vers 1890. Noter les initiales H.J.B. inscrites sur le tender. (banq.qc.ca)

À l’époque, ce projet pouvait sembler un peu fou puisque la ligne traverse une région largement rurale, toutefois, le pari fut tenu et les résultats furent impressionnants pour le contexte. On pourrait attribuer, en grande partie, le succès de la ligne à la figure emblématique de son fondateur et président, Horace Jansen Beemer. Toutefois, le traiter en héros a le fâcheux défaut de passer en sourdine ce que cet entrepreneur avait perçu dans le potentiel de la région et comment il avait entrepris de l’exploiter. Bien sûr, Beemer était l’artisan de nombreux projets, incluant le chemin de fer Quebec & Lake St. John, le P’tit train du Nord du Curé Labelle, et le promoteur de l’hôtel Roberval. Était-il un homme chanceux, bien connecté, né sous une bonne étoile? En partie, mais au final, pas vraiment. À son époque, plus d’un ambitieux a tenté le démon du chemin de fer sans obtenir la réussite. Les grands visionnaires étaient légions comme la série d’ouvrages Railways in Southern Quebec écrits par Derek Booth nous le prouve.

Le génie de Beemer n’était en fait qu’un simple pragmatisme doublé d’une lucidité entreprenante. Sa formule? Observer les lieux, comprendre leur potentiel et mettre en place des réseaux qui correspondent réellement au besoin. Les trois lignes ferroviaires de Beemer précédemment décrites se sont toutes articulées autour d’une même logique. Tentons donc de la découvrir pour mieux comprendre la nature de ces réseaux qui ont largement dépassés le rôle attribué.

Les trois lignes avaient en commun le transport saisonnier des touristes. Les Laurentides au nord de Saint-Jérôme, la chute Montmorency et la Basilique Sainte-Anne sur la Côte-de-Beaupré et les sites de pêches exceptionnels du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Beemer savait que ces sources de revenus pouvait être capricieuses et fluctuantes, mais nécessaires pour financer une ligne avant que celle-ci ne puisse financièrement se soutenir avec le trafic local. L’idée était simple, mais logique : l’argent du tourisme était réinvesti dans l’infrastructure et l’amélioration du service.

La gare Saint-Paul et les autorails électriques vers 1950 (tiré de Québec Urbain)
Sur la Côte-de-Beaupré, la Quebec Montmorency & Charlevoix fut ambitieuse. En moins de 15 ans, la ligne était complètement électrifiée grâce au pouvoir de la chute Montmorency. À cela s’ajoutait la mise en place d’hôtels dont le fameux Manoir Montmorency et son jardin zoologique, et surtout un service flexible de billets permettant aux touristes de voyager sur le réseau à des prix intéressants pour visiter, un à un, les lieux d’intérêt. Doit-on passer sous silence que les touristes étaient cueillis aux portes mêmes du Vieux-Québec afin de faciliter les déplacements et l’exposition des sites touristiques qu’on se promettait de mettre en valeur?

Brochure touristique de la QM&C publée en 1893. La qualité de l'information contenue dans les publications du chemin de fer étaient souvent supérieure aux guides touristiques actuels. (source inconnue)
L’autre décision judicieuse de la Quebec Railway Light & Power Company (QRL&PCo), la nouvelle identité corporative du regroupement des tramways de Québec et du réseau QMC, fut d’offrir un service local qui se moulait au contexte. Les temps de marche furent réduits au minimum en prévoyant des arrêts à tous les kilomètres. Ainsi, entre Saint-Joachim et Québec, c’était 52 points d’arrêts possibles qui ponctuaient le trajet. L’étudiant, le cultivateur, l’ouvrier et le notable avaient tous accès à un transport littéralement accessible au pas de leur porte. Mieux encore, les horaires s’arrimaient aux tramways de Québec et aux diverses usines et institutions desservies. Rater le train n’était pas grave, un autre suivrait bientôt. L’usage de l’électricité permettait d’augmenter la cadence des départs et l’efficacité des déplacements (arrêts et départs plus rapides que les locomotives à vapeur). D’ailleurs, on avait pris soin de dédoubler la voie ferrée partout où nécessaire, principalement entre Québec et la chute Montmorency.

Cela signifiait donc qu’on pouvait utiliser le réseau pour des déplacements vers la grande ville, mais aussi pour se rendre au village d’à côté ou à l’usine du bout de la paroisse. Bref, flexibilité et régularité. Deux attributs incontournables du transport en commun. Cela expliqua en grande partie comment la ligne a pu tirer du profit en déplaçant des passagers dans une zone rurale peu urbanisée. Le chemin de fer permettra d’ailleurs de consolider les pôles de développement autour des gares principales, l’exemple de Sainte-Anne-de-Beaupré et de Beaupré étant particulièrement frappant.

La recette demeura inchangée jusqu’à l’achat de la ligne par le Canadien National (CN) en 1951. Deux facteurs allaient entraîner la mort rapide du réseau : le dédain du CN à exploiter une ligne interurbaine et la compétition féroce du boulevard Sainte-Anne construit parallèlement à la voie.

On a souvent considéré que le boulevard avait tué la ligne. Est-ce vraiment la pure réalité? En fait, non. Le CN ne s’est pas gêné pour donner un coup de pouce à l’effondrement de l’affluence. La technique, éculée, a fonctionné à merveille. Elle consistait à modifier les horaires pour les rendre incompatibles avec celui des employeurs. Le train partait trop tard le matin et revenait trop tôt le soir. Un tel service déconnecté de la réalité avait tout pour convaincre l’utilisateur moyen d’investir dans une voiture et d’utiliser la nouvelle route. Le cercle vicieux était désormais établi et en mars 1959, le service se terminait une fois pour toute.

La une du 14 mars 1959 consacrée à l'abandon du service passager régulier. (Tiré du livre Les Tramways de Québec, Jacques Pharand)

Entre temps, l’espace urbain enviable de l’ancienne gare située au centre-ville de Québec, près de l’actuel édifice TELUS (ancien bureau de poste), fut complètement déconnecté du réseau ferroviaire au point que le rétablissement du lien est désormais impossible. En un an, toute l’infrastructure fut détruite, bradée et mise au rancard au point que l’observateur actuel aurait bien des misères à imaginer que la voie unique parcourant la Côte-de-Beaupré fut autrefois un prospère réseau interurbain développé et intégré intimement à sa région.

La fin de la gare Saint-Paul approche alors que le quartier environnant est rasé pour faire place à un stationnement à la fin des années 1950. (Tiré du livre Les Tramways de Québec, Jacques Pharand)
Le pari du CN était, à long terme, risqué. Il s’appuyait sur l’illusion que la base industrielle de la région durerait et fournirait suffisamment de trafic pour générer des profits rapides sans l’encombrement de la gestion d’un réseau passager. À la fin des années 1970, la désindustrialisation du Québec frappait fort et les usines qui semblaient faites pour durer allaient tomber les unes après les autres.

La Distillerie de Beaupré démarra le bal, suivi de l’emblématique Dominion Textile, puis ce fut Brique Citadelle. L’avenir de la ligne était glauque et le CN la vendit aux Chemins de fer du Québec (CFQ). Commença alors un long déclin avec la fermeture de la Cimenterie du St-Laurent, construite pour fonctionner pendant 100 ans, la démolition de l’usine Abitibi de Beaupré et finalement la mort lente mais assurée de l’ancienne Donohue de Clermont.

Ironiquement,  la seule chose qui augmentait alors que la base industrielle s’effondrait fut la cohorte de banlieusards habitant la région et faisant la navette entre la Côte-de-Beaupré et Québec, soir et matin. Ils étaient moins de 6000, presque tous plus ou moins dépendants de l’agriculture avant les années 1950. Ils sont maintenant plus de 22 000, dépendants en majorité de la ville de Québec pour leur subsistance.

Quant aux touristes, ils sont toujours aussi nombreux même si les destinations de la Côte-de-Beaupré souffrent à cause de la dénaturation accélérée de la qualité des attraits touristiques et des options de transport désormais médiocres. Dans Charlevoix, de nombreux projets intéressants souffrent en contrepartie de l’isolement relatif de leur position. C’est là que la courte expérience du récent Train léger de Charlevoix (TLC) entre en ligne de compte et qu’elle montre que la recette Beemer, loin d’être dépassée, n’a jamais été autant d’actualité. Il est toutefois malheureux que les promoteurs de la première mouture du Train touristique du Massif de Charlevoix n’aient pas eu la même sensibilité au milieu et tentés, sans succès, d’imposer un remède miracle qui n’avait rien à voir avec la condition réelle du patient.

 

L’illusion du Quebec & Saguenay Railway


Si l’histoire de la division Montmorency de la QRL&PCo entre Québec et Saint-Joachim s’avère un cas d’étude positif, la rocambolesque aventure de la complétion de la ligne vers le Saguenay donne une triste leçon du sort réservé aux projets qui ne tiennent pas compte du contexte. 

Horace Jansen Beemer avait reculé prudemment face au projet initial de poursuivre la ligne vers Charlevoix. Les raisons étaient multiples et allaient plomber les ailes du futur réseau pour longtemps. Les falaises escarpées de Charlevoix et les vagues du fleuve offraient un milieu hostile à l’implantation du rail. Non seulement le coût de construction était-il élevé à cause des remblais, des tunnels et des excavations importantes à flanc de montagne, mais les vagues, les glaces et les capricieux ruisseaux en faisaient une ligne coûteuse à maintenir, une situation qui se perpétue encore de nos jours comme en en témoignent les important travaux de réhabilitation et de consolidation commencés en 2009. Pire encore, la population faible et disséminée n’était pas suffisante pour garantir la rentabilité du réseau à court, moyen et long terme.

Affaissement de la voie dans le secteur les Caps, date inconnue (charlevoix.qc.ca)
Le projet était donc mort-né d’avance. Pourtant, l’ambitieux Rodolphe Forget, devenu député de Charlevoix et président de la QRL&PCo n’hésita pas en 1909 à relancer le chemin de fer Quebec & Saguenay (Q&S), initialement fondé en 1905. L’objectif était d’abord et avant tout politique, soit accéder au désir plus que bicentenaire des populations locales d’être reliées directement à Québec par une route fiable à l’année longue. Un autre objectif purement économique de Forget était de fournir un lien ferroviaire pour exporter la pâte à papier produite par sa nouvelle usine fondée à Clermont et attirer les touristes au Manoir Richelieu dont il était propriétaire.

Comme on pouvait s’y attendre, les budgets de construction de la ligne furent rapidement grevés par les dépassements de coût, l’ingratitude de la topographie et la construction de tunnels. De nombreux affaissements de voie et des glissements de terrain allaient s’ajouter au cauchemar (mettre une photo de glissement), et finalement, l’usine de Clermont était mise en faillite. Il faudrait attendre la fin des années 1920 pour que la famille Donohue réactive cette industrie de manière probante.

Gare de Baie-Saint-Paul entre 1919 et 1926 (source inconnue)
Bien entendu, la ligne ne vit jamais le trafic passager et de marchandise escompté et les lubies de Forget de prolonger la ligne sur la Côte-Nord jusqu’au Labrador demeurèrent lettre morte. Dès 1916, une entente avec le gouvernement fédéral entérinait le transfert du réseau Q&S à l’état canadien qui allait l’intégrer en 1919 dans un amalgame de chemins de fer destinés à former le futur Canadien National (CN).

À partir de ce moment, la ligne fut exploitée comme un service public et non plus comme une entreprise lucrative. Le service passager fut discontinué le 30 avril 1977 lorsque le réseau routier dans les Caps fut mis à niveau. Le sort du transport des marchandises a quant à lui été scellé par l’effondrement de la base industrielle limitée de Charlevoix et la période d’hiatus causée par la mise en place du Train touristique du Massif de Charlevoix.

De nos jours, ce réseau souffre toujours des défauts de sa prémisse et ne pas en tenir compte peut vouer tout projet à l’échec. Néanmoins, il serait présomptueux de juger le succès de cette invraisemblable entreprise aux seuls résultats financiers. Au final, ce chemin de fer aura été instrumental dans le décloisonnement de la région charlevoisienne, son essor économique et le développement à long terme du tourisme.

 

L’échec du Train du Massif de Charlevoix


Peu de personnes ont osé discuter en public de la déconfiture du Train touristique du Massif de Charlevoix (TTC). Pourtant, il s’agit d’un exercice nécessaire, d’autant plus que la plupart des gens connaissant de près ou de loin la nature de ce projet avaient déjà prédit l’échec cuisant de la formule.

Reconnaître l’erreur et en comprendre les causes est essentiel pour en tirer des leçons d’avenir. On peut effectivement blâmer les promoteurs du projet de ne pas avoir tenu compte de la réalité, d’un autre côté, on ne pourra jamais les blâmer d’avoir tenté un projet régional qui aurait pu avoir du bon. Ne soyons pas dupes. Sans le TTC, peut-être que les rails seraient irrémédiablement disparus entre Québec et Clermont sans espoir de revenir.

Au départ, le TTC se base sur une logique relativement similaire à celle de Beemer : se servir du robinet du tourisme local et international pour rentabiliser la ligne et ensuite la développer. Toutefois, la comparaison s’arrête là. En effet, TTC a omis des points cruciaux, dont le point de départ et les destinations.

Beemer avait compris qu’un touriste qui ne connait pas la région sera peu tenté d’utiliser un moyen de transport intermédiaire pour atteindre le train qui le mènera au site de son choix. Sa gare était située au centre-ville, à un lieu où convergeaient les touristes et les passagers de la ligne ferroviaire reliant Montréal. Les paquebots accostaient tout près et des tramways cueillaient les touristes des hôtels de la ville pour les amener directement à la gare.

Ancienne gare Saint-Paul vers 1905: la confluence des divers systèmes de transport (train, tramway, calèche) au portes du Vieux-Québec rendent ce lieu incontournable pour le touriste et pratique pour le navetteur interurbain. À remarquer, les affiches indiquant clairement aux passants la vocation touristique de la ligne. (Valentines & Sons Publishing Co., banq.qc.ca)


Que doit-on en comprendre? Premièrement, le touriste était directement pris en charge dans une ville qu’il ne connaissait pas. L’accès au train était direct, voir intuitif. D’ailleurs, la gare Saint-Paul (QMC) était aussi adjacente à l’importante jonction des tramways du Carré Parent. De plus, les tarifs entre les réseaux étaient arrimés de façon à rendre l’expérience la plus simple possible. Finalement, les attraits touristiques étaient bien annoncés dans la ville de manière à créer le besoin de les visiter.


Localisation de la gare Saint-Paul par rapport aux autres réseaux de transport vers 1890 (Google Earth, 2015)

Sur ce point, les choix du TTC s’avèrent funestes. La gare de départ, située à la base de la chute Montmorency est le pire endroit à choisir. En effet, il s’agit d’une destination et non d’un point de départ. Dans ce lieu périphérique de la banlieue, le réseau d’autobus qui s’y rend est pour le moins obscur pour le touriste, et il n’est pas rare qu’il s’y perde. À vrai dire, le visiteur néophyte peut difficilement savoir comment se rendre à la chute. Une fois qu’il y est, la signalisation famélique risque de l’égarer encore plus. De plus, à aucun moment, TTC ne semble avoir envisagé annoncer son offre au centre-ville ou tenté de séduire les touristes des bateaux de croisière.

Localisation de la gare du TTC à la chute Montmorency et sa relation improbable avec le réseau Métrobus (Google Earth, 2015)


De plus, l’incapacité à intégrer le nouveau train aux parcours du RTC est loin d’encourager la réussite. La ligne demeure un trajet complètement séparé des réseaux de transports existants (bus et train) et difficile d’accès (automobile et autocar). Comment alimenter un tel train alors qu’il se court-circuite lui-même.

La question des destinations est tout aussi obscure. Beemer avait basé toute son offre de service sur deux attractions mondialement connues à l’époque : la chute Montmorency et la Basilique Sainte-Anne. Pour le touriste du temps, on pouvait immédiatement comprendre les bénéfices à voyager sur le réseau.

Dans le cas du TTC, il n’y a pas de destination claire, mais plutôt une expérience à bord. On pourra s’étonner avec justesse de cette décision délibérée à tourner le dos aux attraits touristiques majeurs de la région.

Regardons de plus près l’offre. Le départ a lieu sur un site touristique majeur qu’on n’a pas le temps d’apprécier, soit la chute Montmorency. De plus, l’environnement immédiat de la zone de départ est une agglutination de stationnements rébarbatifs et de la friche industrielle de l’ancienne Dominion Textile. On pourrait comparer cette expérience à une représentation cinématographique qui nous présenterait la conclusion d’un film, dans une salle jonchée de déchets, et ce, avant de nous mettre à la porte une fois le générique terminé. Il s’agit-là d’une mise en scène du produit d’appel qu’on peut, à juste titre, considérer comme fausse.

À l’autre bout de la ligne, la « destination » finale, soit l’Hôtel La Ferme, s’avère, du point de vue touristique, sans intérêt. La visite d’un hôtel contemporain similaire à ce qui se trouve un peu partout dans le monde, dans un site marginal situé dans un champ, n’a rien pour évoquer des envies de voyager de la part du public-cible, et ce malgré le charme modeste de Baie-Saint-Paul et la pertinence de l’hôtel à cet endroit. Quant à l’expérience offerte, explorons-là un peu.

Point de départ du TMC au pied de la chute Montmorency, à l’emplacement d’une friche industrielle (TripAdvisor)

L’idée d’une croisière gastronomique vise à offrir deux choses : la contemplation des magnifiques paysages côtiers de Charlevoix et la consommation de haute gastronomie locale. En apparence, deux buts forts louables. Toutefois, la distance à parcourir vient contrecarrer le plan original.

En effet, nous l’avons déjà dit, la ligne dans Charlevoix est fort coûteuse à entretenir mais n’offre aucune source de revenus appréciables. C’est une des raisons pourquoi Beemer avait abandonné son plan d’expansion au-delà du Cap Tourmente. Hors, qui dit croisière dit déplacement lent. Qui plus est, un repas gastronomique a un prix à payer. Lorsqu’on additionne les deux, on se retrouve avec un résultat peu enviable : coûts d’exploitation élevés, coût de repas élevés et temps de parcours beaucoup trop long pour l’expérience vécue lorsqu’on tient compte de l’aller-retour. Le prix exigé pour maintenir l’opération rentable s’avère astronomique, réduisant le public-cible. De plus, il s’agit d’une expérience si longue et si coûteuse qu’elle n’invite pas à la refaire une deuxième fois ou à la recommander. Nous voilà avec un produit qu’on ne peut consommer qu’une seule fois; en d’autres mots, une croisière « jetable ». Voilà une contradiction plutôt ironique par rapport aux ambitions de développement durable des promoteurs du Massif de Charlevoix.

Maintenant, ajoutons le facteur précédemment identifié que le TTC n’est pas facilement accessible; on se retrouve avec un éléphant blanc qui rejoint une clientèle-cible extrêmement limitée. Voilà qui n’a rien de brillant pour l’avenir du service sous sa forme actuelle.

On peut aussi questionner le choix de n’avoir jamais tenté d’offrir un servir hivernal permettant de relier efficacement le centre de ski du Massif de Charlevoix à la ville de Québec. Les skieurs sont pourtant la clientèle récurrente la plus facile à fidéliser aux avantages combinés du rail et du ski. Malheureusement, aucun effort réel n’a été consenti à développer ce créneau pourtant annoncé dans la première mouture du TTC. Pourtant, la propriété conjointe du train et de la montagne appelait à mettre en place cette synergie naturelle et logique qui aurait avantageusement positionné Le Massif comme une destination accessible et conviviale.

Là où Beemer avait démocratisé son offre pour toucher un maximum de clients potentiels, le TTC, au contraire, par une étrange décision d’affaire qui va à l’encontre de son champ d’activité économique, se coupe volontairement d’un maximum de clients potentiels.

Train de neige organisé par la QRL&PCo pour un club de raquetteur à la gare de Beaupré. Début du 20e siècle. (les Archives du Photographes)

Il est aussi intéressant de faire une comparaison rapide avec les deux projets précédents d’excursion ferroviaire qu’étaient les deux tortillards exploités d’abord dans les années 1980 et ensuite au milieu des années 1990. Dans les deux cas, l’expérience s’est avéré un cuisant échec alors que l’offre était nettement plus populaire. Les deux souffraient d’avoir des points de départ flous, malgré le fait que leur destination était claire (Manoir Richelieu). De plus, le manque de flexibilité de l’offre condamnait les voyageurs à voir défiler les attraits plutôt que de les visiter.

Le premier Tortillard du Saint-Laurent à Baie-Saint-Paul dans les années 1980 (carte postale, www.irhcfq.org)

En définitive, après trois expériences ferroviaires en trois décennies avec des approches légèrement différentes, on se rend compte que la simple offre d’excursion ferroviaire est vouée à l’échec si elle ne tient pas compte du contexte et ne vise pas activement à lier des points d’intérêts de manière flexible. La viabilité du projet ne peut se réaliser que par la fidélisation d’une clientèle aux intérêts variés pouvant soutenir le réseau toute l’année.

 

Le Train léger de Charlevoix (TLC)


Y a-t-il de l’espoir pour le transport des personnes dans Charlevoix et sur la Côte-de-Beaupré? Il semble bien que la courte expérience du Train léger de Charlevoix (TLC) ait mis le doigt sur un point que j’ai longtemps défendu : tenir compte du contexte local. L’approche du directeur, Frédéric Garant, n’a rien de glamour ni de spectaculaire. Un ancien train de banlieue banal composé d’automotrices diésel qui relie deux villes régionales d’importance et qui s’arrête à tous les points d’intérêts situés entre elles. Le parcours est relativement court, la quantité d’attraits desservis importante et l’accessibilité des prix rend vraiment ce moyen de transport démocratique. La preuve? L’achalandage a été au rendez-vous et l’impact direct dans chacune des communautés traversées. Mieux encore, la présence d’un chemin de fer qui réunit divers attraits d’envergure moyenne a permis de leur donner une synergie qui les dépasse.

Doit-on s’étonner que les caractéristiques de cette nouvelle offre sont les mêmes que celles employée 120 ans plus tôt par Horace Jansen Beemer? Non, M. Garant et son équipe n’ont rien d’un héros eux non plus. Simplement, ils semblent être comme leur prédécesseur, des réalistes capables de travailler avec le milieu.

La gare originale de Sainte-Anne-de-Beaupré et la première basilique au début du 20e siècle. Ce site est actuellement envisagé par TMC pour devenir son premier arrêt sur la Côte-de-Beaupré. (carte postale, source inconnue)

TLC ambitionne déjà d’augmenter la cadence, probablement d’améliorer la vitesse, de relier les attraits de la Côte-de-Beaupré et de partir de Québec. Est-ce raisonnable? Probable. Du moins, la recette de TLC, qui consiste à tenir compte des acteurs locaux et du contexte, semble lui donner raison. En fait, TLC n’est pas réfractaire à l’idée de rétablir un service passager interurbain et transcender les conditions d’existence extrêmement capricieuse d’une ligne strictement touristique. En ce sens, le réveil tardif de la Côte-de-Beaupré à la question des transports en commun est néanmoins positive pour l’avenir.

Cette MRC n’est pas reconnu pour avoir une vision d’avenir très durable, mais la question des transports, qu’on esquivait du revers de la main il y a moins de 5 ans est désormais de retour sur le tapis. Mieux encore, l’expérience du réseau d’autobus PLUmobile prouve, dans sa courte existence, que la demande est réelle sur la Côte-de-Beaupré. Comment s’en surprendre, l’ancienne population rurale avait été en mesure de faire survivre la QRL&PCo dans des conditions beaucoup moins favorables. Du moins, l’intégration de Sainte-Anne-de-Beaupré au parcours du TLC prévu pour 2015 est en soit un pas positif qui mérite d’être souligné.

 

 

Des balises pour l’avenir


Le plus gros défi pour TLC est de définir un véritable terminus à sa ligne. Une gare capable de le brancher directement sur Québec et les pôles économiques. Un lieu facile d’accès, central, identifiable facilement par les touristes et pratique pour les gens locaux. Il doit aussi être facile à mettre en valeur, disponible et aisé à intégrer au Réseau de transport de la Capitale (RTC).

Visiblement, le lieu tout indiqué est D’Estimauville. Sa séparation du réseau du CN lui permet d’éviter les limitations réglementaires liées à l’utilisation de matériel passager léger sur des voies dédiées aux marchandises, ce qui est loin d’être une contrainte réglementaire qu’on passer sous silence. De plus, soyons réalistes, l’accès à la gare du Palais nécessiterait des aménagements et des négociations complexes, vraisemblablement impossibles à régler dans des délais raisonnables. Finalement, cette gare n’a plus la valeur centrale qu’elle a eue dans le passé. Dit simplement, il s’agit désormais d’un cul-de-sac mal desservi par le RTC et qui ne rayonne pas dans la région. Bien entendu, rien n’interdit à terme d’y rétablir un terminus si les conditions du moment s’y prêtent.

Au contraire, D’Estimauville offre un lien direct avec le terminus Beauport, l’un des plus importants de la région où quatre lignes Métrobus permettent d’atteindre tous les points importants de la ville. Mieux encore, on y retrouve une multitude de parcours express qui relient les centres d’emploi, les commerces et les institutions d’éducation. Le réaménagement du quartier aura à terme un impact important sur la fréquentation du lieu. De plus, le RTC n’a jamais caché son intention de réaménager le terminus. Il s’agirait là d’une occasion en or pour mettre sous un même toit trains de banlieue et autobus. En effet, la question des correspondances est cruciale pour offrir un service de qualité et augmenter l’affluence.

L’autre gros défi sera d’offrir une cadence permettant d’utiliser le réseau toute la journée. Il s’agit de la seule manière de rendre le chemin de fer attrayant pour les utilisateurs en les libérant du carcan d’une offre limitée aux heures de pointe. Pour les touristes, c’est aussi une garantie unique de pouvoir visiter plusieurs attraits dans la journée à son rythme.

Les points de dessertes devront être stratégiquement choisis afin de limiter les parcours à pied au maximum. La présence de gares complexes ne sera pas requise et ont devrait plutôt envisager d’utiliser ces budgets pour offrir des points de service flexibles et variés. Ne l’oublions pas, une partie appréciable du trafic pourrait être générée à l’interne comme le prouve l’enquête Origine-Destination de 2011. Relier les deux terminus n’est qu’une option parmi tant d’autres.

Du point de vue des attraits touristiques, ils ne manquent pas. On peut déjà imaginer que la chute Montmorency, la Basilique Sainte-Anne, le Mont-Sainte-Anne, le Cap Tourmente, le Massif de Charlevoix, Baie-Saint-Paul, l’Isle-aux-Coudres, Saint-Irénée, Pointe-au-Pic (Manoir Richelieu et Casino de Charlevoix) et La Malbaie seraient des incontournables. De plus, l’association à des lieux aussi réputés permettrait d’arrimer la mise en valeur du chemin de fer à travers leur rayonnement.

N’oublions pas qu’en partenariat avec Le Massif de Charlevoix, l’option de trains de neige quotidiens à destination des pentes, offrant un potentiel de soirées après-ski à bord lors du voyage de retour vers Québec, devrait être sérieusement examinée.

À moyen terme, l’utilisation de l’électricité serait aussi envisageable, surtout avec la construction de la nouvelle centrale hydroélectrique de Saint-Joachim. En effet, il s’agit d’un mode de locomotion qui offre une plus grande flexibilité d’opération et qui pourrait être soutenu par les divers programmes de subvention à l’innovation technologique.

 

Conclusion


Ce survol de plus d’un siècle de transport ferroviaire sur la Côte-de-Beaupré et Charlevoix nous démontre que loin d’être disparue, la raison d’être de ce réseau s’est développée et fortifiée à travers le temps. Les échecs passés sont surtout imputables à un refus à intégrer les conditions locales plus qu’à un manque d’ambition. L’idée de percevoir le projet comme un tout qui se suffit en lui-même aura été la pierre d’achoppement pour trois entreprises touristiques. En revanche, la sensibilité au contexte et aux besoins locaux a permis des retombées réelles et quantifiables pour le QMC, le QRL&PCo et, visiblement pour TLC. L’expérience de TLC est courte, mais elle a le mérite d’être humble dans ses prétentions, réaliste dans ses moyens et ambitieuse dans sa capacité à envisager de manière globale ses activités. La réponse initiale des élus et des centres locaux de développement à la formule montre qu’un appui sérieux de la population est envisageable à terme.

Si la région de Charlevoix semble avoir compris la leçon, il reste beaucoup de travail à faire pour la Côte-de-Beaupré et Québec. Sous quelle forme peut-on envisager un organisme capable de connecter le RTC, PLUmobile et TLC? Quelle plateforme de diffusion utiliser? La question reste entière et là repose le sens à donner à nos actions.

Il serait aussi naïf de ne pas comprendre que la question des transports se pose aussi en regard de l’aménagement du territoire. Dans un cas aussi sensible que la Côte-de-Beaupré, sera-t-il possible de balancer la soif de développement des certains décideurs et l’impératif de protection du territoire agricole? Car ne soyons pas dupe, le point d’équilibre où la région n’aura absolument plus aucuns points qui la démarque de Repentigny et Longueuil sera bientôt franchis. Dans un tel contexte, le tourisme aura-t-il encore un avenir?

 

 

Références


Train de banlieue sur la Côte-de-Beaupré : la patience est de mise (24 février 2015)
Le train léger de Charlevoix s’arrêtera à Sainte-Anne-de-Beaupré (24 février 2015)
Train léger de Charlevoix : entre fleuve et falaise (4 février 2015)
Une « pause » pour le train touristique du Massif (27 janvier 2014)
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/transports/201501/27/01-4839024-une-pause-pour-le-train-touristique-du-massif.php
Le chemin de fer de Charlevoix
http://le100sainte-anne.charlevoix.net/chemindefer.htm

Bibliographie


Grumley, J.R.Thomas (2008), Quebec Railway Light & Power Company: Citadel Division, Bytown Railway Society.

Grumley, J.R. Thomas (2006), Quebec Railway Light & Power Company: Montmorency Division, Bytown Railway Society.

Lavallée, Omer S.A. (1959), Le chemin de fer de la Bonne Sainte-Anne, brochure.

Pharand, Jacques (1998), Les tramways de Québec, Éditions MNH.
 

Abbréviations

CFQ – Société des chemins de fer du Québec (1993-2009)
CFC – Chemin de fer Charlevoix (1994-2009)
CN – Chemin de fer Canadien National (1951-)
QMC – Quebec Montmorency & Charlevoix Railway (1889-1904)
QRL&PCo – Quebec Railway Light & Power Company (1904-1951)
Q&S – Quebec & Saguenay Railway (1905-1919)
RTC – Réseau de transport de la Capitale (2002-)
TLC – Train léger de Charlevoix (2014-)
TTC – Train tourisque du Massif de Charlevoix (2009-)


[2] La ligne originale du Quebec, Montmorency & Charlevoix Railway correspond au chemin de fer reliant Limoilou à Clermont, soit l’ancienne subdivision Murray Bay du Canadien National et l’actuelle emprise utilisée par le Train touristique du Massif de Charlevoix. Ce réseau fut surtout connu entre 1900 et 1959 sous l’appellation de Quebec Railway Light & Power Company (QRL&PCo).